Subhas Chandra Bose, l'armée nationale indienne et la guerre de libération de l'IndeRanjan Borra |
L'Armée de Libération de l'Inde en OccidentAlors que les compatriotes de Bose en Inde restaient totalement soumis à un dogme idéologique (la non-violence) qui à cette époque pouvait seulement servir les Britanniques et différer la venue de l'indépendance, et alors que leurs interprétations idéologiques -- à nouveau grandement influencées par la propagande britannique -- à propos des nouveaux régimes révolutionnaires en Europe les empêchaient même de penser à rechercher une alliance et une coopération pour la lutte contre l'ennemi commun, Subhas Chandra Bose eut seul le courage de faire le grand plongeon, risquant ainsi sa propre vie et sa réputation, uniquement dans l'intérêt et pour la cause de son pays. En janvier 1941, alors qu'il était en résidence surveillée, et sous stricte surveillance britannique, il s'évada. Après un voyage ardu à travers plusieurs pays, avec un passeport italien sous le faux nom de Orlando Mazzotta -- en quoi il fut aidé par des révolutionnaires clandestins et des agents diplomatiques étrangers -- Bose arriva à Berlin, via Moscou, le 28 mars 1941. Bose fut le bienvenu en Allemagne, bien que la nouvelle de son arrivée fut tenue secrète pendant quelque temps pour raisons politiques. Le Ministère allemand des Affaires Etrangères, qui avait été chargé de traiter avec Bose et de prendre soin de lui, avait été bien informé du passé et du rang du dirigeant indien par son Consulat général à Calcutta et par son représentant à Kaboul. Bose lui-même, naturellement un peu impatient d'entrer rapidement en action après son arrivée à Berlin, soumit un mémorandum au gouvernement allemand le 9 avril 1941, qui esquissait un plan de coopération entre les puissances de l'Axe et l'Inde. Parmi d'autres choses, il appelait à la constitution d'un «Gouvernement de l'Inde Libre» en Europe, de préférence à Berlin; création d'une station de radio de l'Inde Libre appelant le peuple indien à réclamer son indépendance et à se révolter contre les autorités britanniques; activité clandestine en Afghanistan (Kaboul) impliquant les tribus indépendantes se trouvant entre l'Afghanistan et l'Inde, et à l'intérieur de l'Inde elle-même, pour alimenter et appuyer la révolution; aide financière de l'Allemagne sous la forme d'un prêt au gouvernement en exil de l'Inde Libre; et déploiement de contingents militaires allemands pour écraser l'armée britannique en Inde. Dans un mémorandum supplémentaire portant la même date, Bose demanda qu'une déclaration soit faite rapidement au sujet de la liberté de l'Inde et des pays arabes. [2] Il est intéressant de noter que le mémorandum ne mentionnait pas la nécessité de créer une Légion indienne. A l'évidence, l'idée de recruter les prisonniers de guerre indiens dans le but de former le noyau d'une armée nationale indienne, ne lui vint pas pendant ses premiers jours à Berlin. A cette époque le gouvernement allemand était en train de préparer son propre plan pour traiter avec Subhas Chandra Bose de la meilleure manière possible. Les Affaires Etrangères ne se sentaient pas capables de prendre cette lourde responsabilité sans soumettre toute l'affaire à Hitler. Alors que la question était examinée au plus haut niveau du gouvernement, les propres requêtes de Bose exposées précédemment dans son mémorandum la rendirent bien trop compliquée et empêchèrent une décision rapide. Ce fut une longue attente pour Bose, pendant laquelle il se sentit souvent frustré. Cependant, par l'intermédiaire de sympathiques officiers des Affaires Etrangères, il continua à présenter ses requêtes et à proposer de nouvelles idées. Finalement, après des mois d'attente et de nombreux moments de déception, touchant souvent au désespoir pour Bose, l'Allemagne accepta de lui donner une aide inconditionnelle et totale. Les deux résultats immédiats de cette décision furent la création d'un Centre de l'Inde Libre et l'inauguration d'une Radio de l'Inde Libre, tous deux commençant à fonctionner en novembre 1941. Ces deux organismes jouèrent un rôle vital et significatif en répercutant les activités croissantes de Bose en Allemagne, mais un récit détaillé de leurs activités n'entre pas dans le cadre de cet article. Il suffit de dire que le gouvernement allemand mit à la disposition de Bose des fonds adéquats pour faire fonctionner ces deux organismes, et il obtint la liberté complète pour les diriger de la manière qu'il le souhaitait. Dans sa première réunion officielle le 2 novembre 1941, le Centre de l'Inde Libre adopta quatre résolutions historiques qui allaient servir de lignes directrices pour le mouvement entier dans les mois et les années à venir, en Europe et en Asie. Premièrement, «Jai Hind!» («victoire pour l'Inde») serait la forme officielle de salut; deuxièmement, le célèbre chant patriotique du poète et prix Nobel Rabindranath Tagore, «Jana Gana Mana», fut adopté comme hymne national de l'Inde Libre pour laquelle Bose combattait; troisièmement, dans un pays multi-national comme l'Inde, la langue la plus parlée, l'hindoustani, fut adoptée comme langue nationale; et quatrièmement, Subhas Chandra Bose serait à partir de maintenant connu et appelé par le nom de «Netaji», l'équivalent indien de «Chef» ou de «Guide». En novembre 1941, la Radio Azad Hind (ou Radio de l'Inde Libre) commença ses programmes avec un discours inaugural de Netaji lui-même, qui fut en fait une révélation de son identité qui avait été tenue secrète depuis si longtemps. Les programmes radio furent diffusés en plusieurs langues indiennes selon un rythme régulier. Pendant cette longue période «d'hibernation», entre l'arrivée de Netaji à Berlin et le début des opérations des deux organisations, on peut raisonnablement supposer que la création d'une légion indienne, qui pourrait être transformée en une Armée Indienne de Libération en Occident, traversa l'esprit de Bose. Il discuta peut-être même de cette question avec ses collègues -- les compatriotes indiens en Allemagne qui l'avaient rejoint -- pour savoir comment réaliser cette idée. Cependant, comme précisé plus haut, son premier mémorandum soumis au gouvernement allemand n'incluait pas un tel plan. Selon N.G. Ganpuley, qui fut son adjoint à Berlin, Netaji lui-même, lorsqu'il quitta l'Inde, ne pouvait pas, par aucun effort d'imagination, avoir pensé à former une unité armée nationale en-dehors du pays, et par conséquent il n'avait pas de plans précis, prêts à être réalisés. Même à Berlin, il ne pouvait pas penser à cela pendant les quelques premiers mois de son séjour. [3]Quand et comment en vint-il donc à concevoir un tel plan? Mr Ganpuley raconte un épisode intéressant à cet égard. Pour citer à nouveau son livre: Tout vint d'une inspiration du cerveau de Netaji qui commença à travailler à partir d'un simple incident. Il lut un jour qu'une demi-douzaine de prisonniers de guerre indiens étaient amenés à Berlin par le Département de la Radio pour écouter la BBC et d'autres stations qui émettaient en hindoustani. Il les vit venant ici non comme des Indiens libres, mais comme des prisonniers. Ils étaient amenés chaque jour au Service de la Radio pour écouter et pour traduire les programmes en hindoustani, et étaient renvoyés dans leurs quartiers escortés par une sentinelle. Après avoir eu une conversation avec eux à propos de la guerre, de leur captivité et de leur vie actuelle, son esprit actif commença à travailler ... Il y réfléchit pendant quelque temps et décida de former une petite unité militaire nationale ... A peine avait-il pris cette décision ... qu'il commença à négocier avec la section des Affaires Etrangères avec laquelle il était resté constamment en contact. Il leur exposa ses plans pour entraîner de jeunes Indiens des camps de prisonniers pour en faire une milice nationale. [4]Bien qu'un peu sceptiques et hésitants au début, les Allemands répondirent à ces plans de manière encourageante. C'était à un moment psychologiquement bien choisi par Netaji. Les forces alliées avaient été vaincues sur le continent, et la Wehrmacht progressait avec succès en Union soviétique. Ce fut aussi une coïncidence historique qu'un grand nombre d'Indiens de l'armée britannique, prisonniers de guerre capturés pendant l'offensive éclair de Rommel en Afrique du Nord, se trouvaient dans les mains des Allemands. La première idée de Netaji fut de former de petits groupes de parachutistes pour faire de la propagande et du renseignement à la frontière nord-ouest de l'Inde. La réaction de quelques prisonniers sélectionnés, amenés à Berlin à partir du camp de Lamsdorf, et de Cyrénaïque, fut si encourageante qu'il demanda à ce que tous les Indiens prisonniers en Afrique du Nord soient amenés en Allemagne immédiatement. Les Allemands accédèrent à cette requête, et les prisonniers commencèrent à être rassemblés au camp d'Annaburg, près de Dresde. Les efforts de recrutement, cependant, rencontrèrent au début quelque opposition de la part des prisonniers, qui à l'évidence s'étaient mépris sur les intentions et les motivations de Netaji. A cet égard Hugh Toye écrit: Lorsque Bose lui-même visita le camp en décembre il y avait encore une hostilité marquée. Son discours fut interrompu, et beaucoup de ce qu'il avait à dire ne fut pas entendu. Mais les conversations privées furent plus encourageantes; les questions des hommes montraient leur intérêt : quel rang auraient-ils ? comment l'ancienneté dans l'armée indienne serait-elle considérée ? comment seraient les relations entre les légionnaires et les soldats allemands ? Bose refusa de marchander, et quelques-uns qui auraient pu être des recrues de valeur renoncèrent. D'autre part, de nombreux hommes lui rendirent hommage comme à un patriote indien, et plusieurs se dirent prêts à rejoindre la Légion inconditionnellement. [5]Netaji chercha et obtint un accord des Allemands, que la Wehrmacht entraînerait les Indiens dans la plus stricte discipline militaire, et qu'ils seraient entraînés dans tous les services de l'infanterie, à utiliser les armes et les véhicules motorisés de la même manière qu'une unité allemande; les légionnaires indiens ne seraient pas mélangés avec des unités allemandes; qu'ils ne seraient pas envoyés sur un front autre que l'Inde pour combattre les Britanniques, mais qu'ils seraient autorisés à combattre en défense à tout autre endroit s'ils étaient surpris par une unité ennemie; que dans tous les autres domaines les membres de la Légion jouiraient des mêmes facilités et commodités concernant la solde, les vêtements, la nourriture, les permissions, etc, comme une unité allemande. En décembre 1941 tous les arrangements étaient terminés et la tâche suivante fut de persuader les hommes de s'engager et de former le noyau. Il apparut que les prisonniers avaient besoin d'être convaincus qu'il y avait aussi de jeunes civils indiens, étudiants, bien placés dans la vie, et responsables de leurs familles, qui étaient prêts à tout abandonner pour rejoindre la Légion. Dix des quarante jeunes indiens résidant alors à Berlin s'engagèrent. Ils furent rapidement rejoints par cinq prisonniers qui étaient déjà à Berlin avec la propagande radio allemande, et le premier groupe de quinze hommes fut ainsi formé. Le 25 décembre 1941, une réunion des résidents indiens à Berlin fut annoncé dans le local du Centre de l'Inde Libre, pour donner une fête d'adieu aux quinze premiers qui devaient partir le jour suivant pour Frankenburg, le premier camp d'entraînement et Quartier Général de la Légion. La brève cérémonie fut simple et solennelle. Netaji bénit la Légion, la première du genre dans l'histoire du combat pour l'indépendance de l'Inde. Il la baptisa Azad Hind Fauj (Armée de l'Inde Libre). L'Armée indienne de libération en Occident connut ainsi une humble et modeste naissance. La force de la Légion augmenta régulièrement, et le travail de recrutement continua sans faiblir. Dès qu'ils furent suffisamment entraînés et disciplinés, les membres du premier groupe reçurent la responsabilité additionnelle de visiter le camp d'Annaburg et d'aider au recrutement. Alors que la Légion était envoyée à Frankenburg en Saxe, un autre groupe fut envoyé à Meseritz dans le Brandebourg pour être entraîné aux tactiques de guerre. Abid Hasan et N.G. Swamy, les deux premiers recruteurs que Netaji avait envoyés au camp d'Annaburg en 1941, étaient devenus de facto membres fondateurs de la Légion à Frankenburg et de la Compagnie irrégulière à Meseritz, respectivement. A Meseritz, les Indiens furent placés sous le commandement du capitaine Harbig, dont le premier objectif était de leur faire oublier qu'ils avaient été des prisonniers. Il y avait aussi des Tadjiks, des Uzbeks et des Persans s'entraînant pour des rôles militaires similaires à ceux prévus pour les Indiens. En temps utile, les recrues poursuivirent par des entraînements à des opérations tactiques, telles que l'utilisation de la radio, sabotage et équitation, et aussi faire des parcours spéciaux pour la montagne et les parachutistes. D'après Toye, «le moral, la discipline et les relations indo-allemandes étaient excellentes, les officiers allemands de premier plan.» [6] Netaji visitait les camps de temps en temps et regardait les progrès de ses stagiaires. Comme il était lui-même attiré par l'entraînement militaire et la discipline, il observait les méthodes d'entraînement allemandes avec un grand intérêt. Il est bien évident qu'en Allemagne Netaji lui-même supporta les rigueurs de cet entraînement, bien que les documents sur ce sujet manquent encore. En Inde, il était membre du Corps d'entraînement de l'Université et commandait les volontaires à la session annuelle du Congrès National Indien, mais il n'avait jamais eu une véritable éducation militaire avant son arrivée en Allemagne en 1941. Comme l'écrit Joyce Lebra: «Bien que Bose n'avait pas eu d'expérience militaire auparavant, il subit l'entraînement et la discipline à la manière allemande, en même temps que les soldats de la Légion indienne.» [7] Pour lui, la création d'une Légion était plus positive, plus nationaliste, et plus satisfaisante que la simple propagande radio. A la différence de ses ex-compatriotes du Congrès National Indien, incluant Gandhi, Nehru et Patel, il recherchait la confrontation avec les Britanniques -- avec une armée - plutôt que faire un compromis avec eux autour d'une table de conférences, sur la question de la liberté de l'Inde. Croyant fermement en la discipline et l'organisation, rien peut-être ne pouvait être plus satisfaisant pour lui que de voir ses hommes entraînés par le commandement allemand, avec des officiers du plus haut niveau. En quatre mois, le nombre de recrues monta jusqu'à 300. En six autres mois, 300 autres s'y étaient ajoutés. En décembre 1942, exactement un an après que le recrutement de la Légion ait commencé, elle atteignit la force de quatre bataillons. Au début de 1943 la Légion serait forte de 2 000 hommes, bien partie pour atteindre son maximum de 3 500 hommes. Mais revenons au début de 1942, presque un an après l'arrivée de Netaji à Berlin. Après l'inauguration du Centre de l'Inde Libre, de la Radio de l'Inde Libre, et l'envoi des quinze premiers légionnaires au camp d'entraînement de Frankenburg, les activités de Netaji en Allemagne battaient leur plein. Sa présence en Allemagne n'était pas encore officiellement admise -- il était encore enregistré comme le Signore Orlando Mazzotta ou Son Excellence Mazzotta -- mais il commençait à être connu de plus en plus de gens à Berlin. Joseph Goebbels écrivit dans son journal le 1er mars: Nous avons réussi à décider le dirigeant nationaliste indien, Bose, à publier une solennelle déclaration de guerre à l'Angleterre. Elle sera publiée et commentée dans la presse allemande de la manière la plus marquante. De cette manière nous commencerons maintenant notre combat officiel au nom de l'Inde, même si cependant nous ne l'admettons pas encore ouvertement. [8]Le 14 mars, il remarqua à propos de Bose: «c'est un excellent travailleur.» [9] La chute de Singapour fut pour Netaji un signal pour diffuser son premier discours officiel sur la Radio de l'Inde Libre, répétant son voeu de combattre l'impérialisme britannique jusqu'au bout. Il fit suivre cela d'une déclaration de guerre à l'Angleterre, bien qu'à ce stade une telle déclaration pouvait être seulement symbolique. Netaji n'avait pas encore obtenu une déclaration de l'Axe en faveur de la liberté de l'Inde, qu'il réclamait dans le supplément de son premier mémorandum adressé au gouvernement allemand. Ce gouvernement était d'avis que le temps n'était pas encore mûr pour une telle déclaration, et qu'à moins qu'une déclaration de cette nature puisse être soutenue par une action militaire, elle ne serait pas d'une grande utilité. Pendant ce temps, le Japon proposa une déclaration tripartite sur l'Inde. Encouragé, Bose rencontra Mussolini à Rome le 5 mai, et le persuada d'obtenir une telle déclaration en faveur de l'indépendance. Mussolini télégraphia aux Allemands, proposant de procéder immédiatement à la déclaration. Pour soutenir sa nouvelle proposition, Mussolini dit aux Allemands qu'il avait encouragé Bose à constituer un «contre-gouvernement» et à apparaître plus visiblement. La réaction allemande, qui restait encore méfiante, est notée par le Dr Goebbels dans son journal le 11 mai: Nous n'aimons pas beaucoup cette idée, car nous ne pensons pas que le temps soit venu pour une telle action politique. Il apparaît cependant que les Japonais sont très impatients de voir une telle action. Cependant, les gouvernements en exil ne doivent pas vivre trop longtemps dans le vide. A moins qu'ils aient quelque réalité pour les appuyer, ils existent seulement dans le domaine de la théorie. [10]Netaji était apparemment d'avis qu'une déclaration tripartite sur l'indépendance de l'Inde, suivie par la création d'un gouvernement en exil, donnerait quelque crédibilité à sa déclaration de guerre à l'Angleterre, mènerait à deux doigts de la révolution en Inde, et légitimerait la Légion indienne. Cependant, Hitler avait une vue différente. Pendant une rencontre au Quartier Général de campagne du Führer, le 29 mai, il dit à Netaji qu'une armée bien équipée de quelques milliers d'hommes pouvait contrôler des millions de révolutionnaires désarmés, et qu'il ne pourrait pas y avoir de changement politique en Inde à moins qu'une puissance extérieure frappe à sa porte. L'Allemagne ne pouvait pas encore faire cela. Pour convaincre Netaji, il le mena à une carte murale, lui montra les positions allemandes en Russie, et l'Inde. D'immenses distances devaient encore être comblées avant qu'une telle déclaration puisse être faite. A ce stade, le monde la considérerait comme prématurée, même venant de lui. Hitler avait peut-être été réaliste, mais cela dut cependant causer quelque désappointement à Netaji. [Photo: Adolf Hitler, «un vieux révolutionnaire» selon Bose.] En juillet 1942, les Allemands suggérèrent qu'un contingent de la Compagnie irrégulière soit envoyé pour faire de la propagande sur la ligne de front contre les troupes indiennes à El-Alamein; mais Rommel, qui n'aimait pas que les champs de bataille soient transformés en banc d'essai pour les idées des Affaires Etrangères, s'opposa à la l'opération. Cependant, lors des manoeuvres du Régiment d'instruction en septembre, et lors d'exercices en octobre, la performance des Indiens fut hautement appréciée. En janvier 1943, on réalisa que le maintien des irréguliers en tant qu'unité séparée n'était pas d'une grande utilité, et les 90 Indiens (sauf quatre, commandés par N.G. Swamy, qui étaient entraînés pour une action à l'intérieur de l'Inde) furent absorbés par la Légion. Comme le flux de recrues venant du camp d'Annaburg était presque épuisé, il fut décidé de hâter le transfert de prisonniers de guerre depuis l'Italie. D'après un accord entre l'Italie et l'Allemagne, tous les Indiens prisonniers de guerre devaient être envoyés directement en Allemagne sans être retenus dans les camps italiens. Mais dans le même temps, un empêchement imprévu se présenta. Un Indien résidant depuis longtemps à Rome, Iqbal Shadaï, forma une unité indienne avec l'aide des Italiens, et commença à émettre à la radio depuis Rome avec l'aide de quelques prisonniers indiens. Bien sûr il avait discuté avec Netaji à plusieurs occasions, mais à l'évidence il n'avait pas l'intention de coopérer avec lui. Après les émissions radio, il poursuivit en formant une unité militaire indienne, bien que cela fut en claire violation de l'accord italo-allemand. L'unité fut nommée le Centre Militaire Indien, mais exista seulement d'avril à novembre 1942. Pendant cette brève période d'existence, cependant, Shedaï réussit à recruter plusieurs centaines de volontaires dans les camps italiens, qui auraient normalement dû aller en Allemagne. En novembre, l'unité était forte de 350 hommes, et avait été entraînée par des officiers italiens. Le 9 novembre, après le débarquement allié en Afrique du Nord, on apprit que les hommes seraient envoyés au combat en Libye, contrairement aux promesses de Shadaï. Lorsqu'ils refusèrent de partir et se mutinèrent, Shedaï refusa d'intervenir. En conséquence, le Centre Militaire Indien fut dissous. Il ne fut jamais reconstitué, et ainsi un obstacle sur le chemin de Netaji fut enlevé. En août 1942, la Légion fut déplacée à Königsbrück, un grand centre d'entraînement militaire en Saxe. Il avait été un camp d'entraînement régulier pour l'infanterie et les unités motorisées allemandes depuis des décennies. Ici les premiers contingents défilèrent devant les yeux de Netaji en octobre, et les progrès furent rapides. Cependant, le rapide développement de la Légion posa aussi un problème financier. Jusqu'à maintenant, le paiement des soldats était fait avec les versements mensuels faits au Centre de l'Inde Libre. Comme le nombre de légionnaires augmentait, la source devint insuffisante. Pour ce problème, il ne pouvait y avoir qu'une seule solution: le paiement direct à la Légion par les Allemands. Cela signifierait que dès lors les légionnaires recevraient des promotions et des priorités en tant que soldats de l'Allemagne nationale-socialiste, et que la Légion deviendrait, en fait, un régiment de l'armée allemande, même si elle conservait son nom et son identité séparés. Cela fut conclu entre Netaji et le gouvernement allemand, et nécessitait un serment de loyauté formel envers Adolf Hitler de la part des légionnaires. Décrivant la cérémonie, Hugh Toye écrit: 500 légionnaires furent rassemblés. Leur commandant allemand, le Lieutenant-colonel Krappe, s'adressa à eux, et le serment fut reçu par des officiers allemands, par groupes de six hommes. Tout fut fait avec solennité, les soldats touchaient l'épée de leurs officiers en prononçant les mots en allemand: «Je fais le serment sacré, devant Dieu, que j'obéirai au Chef de l'Etat et du Peuple allemand, Adolf Hitler, Commandant des Forces Armées allemandes, durant le combat pour la liberté de l'Inde, dont le Chef est Subhas Chandra Bose, et qu'en brave soldat, je donnerai ma vie pour ce serment». Bose présenta à la Légion son étendard tricolore, vert, blanc et safran du Congrès National Indien, avec l'image d'un tigre bondissant, à la place de la roue du Congrès. «Nos noms», dit-il, «seront écrits en lettres d'or dans l'histoire de l'Inde libre; chaque martyr de cette guerre sainte aura un monument ici». Ce fut un spectacle brillant et coloré, et pour Bose, un moment de fierté et d'émotion. «Je conduirai l'armée», dit-il, «lorsque nous marcherons ensemble vers l'Inde». Les légionnaires avaient belle allure dans leurs uniformes neufs, la bannière de soie flottant au milieu d'eux; leur entraînement leur donnait confiance. [11]Quel était le plan de Netaji pour conduire cette armée en Inde? Lorsque les Allemands s'élancèrent au-delà de Stalingrad vers l'Asie centrale, les irréguliers indiens, entraînés à Meseritz, devaient accompagner leurs homologues Tadjiks et Uzbeks et les troupes allemandes. Après que l'Uzbékistan et Afghanistan seraient atteints la Compagnie indienne serait mise en tête de l'avance allemande pour briser les défenses britanniques au nord-ouest de l'Inde. Netaji parlait de larguer des brigades de parachutistes, appelant la paysannerie indienne à les soutenir. Par la radio il avertit les soldats indiens de l'armée et de la police britanniques que s'ils ne soutenaient pas les forces de libération, ils auraient un jour à répondre de leur soutien criminel aux Britanniques devant le gouvernement de l'Inde Libre. L'effet de l'entrée en Inde de l'Armée Indienne de Libération en compagnie des forces allemandes serait tel que le moral de toute l'armée indienne britannique s'effondrerait, coïncidant avec un soulèvement révolutionnaire contre les Britanniques. La Légion serait alors le noyau d'une grande armée de l'Inde Libre. Le plan de Netaji, dépendant largement des succès militaires allemands en Union soviétique, connut indubitablement un revers quand la Wehrmacht fut arrêtée à Stalingrad. Après le retrait allemand de cette ville, le plan pour entrer en Inde à partir de l'ouest dut être abandonné. Le sort de la guerre était en train de tourner rapidement, réclamant de nouvelles stratégies de la part de Netaji. Pendant que la deuxième poussée de l'armée allemande en Russie se heurtait à une contre-offensive inattendue à Stalingrad et était ainsi contrainte au repli, dans une autre partie du monde les forces d'un autre partenaire de l'Axe étaient en progression, toujours plus près de l'Inde. Le Japon obtenait des succès spectaculaires en Extrême-Orient et était prêt à accueillir Netaji comme chef des millions d'Indiens qui vivaient dans les pays de l'est et du sud de l'Asie. L'attitude japonaise était extrêmement encourageante. Le Premier Ministre Tojo avait fait des déclarations à la Diète [le Parlement japonais] à propos de la liberté de l'Inde au début de 1942, et en mars il y eut une proposition japonaise pour une déclaration tripartite sur l'Inde. Un petit groupe de légionnaires de l'Armée Nationale Indienne avait déjà existé dans le sud-est sous le patronage japonais, bien que certains de ses dirigeants, dont Mohan Singh, s'étaient brouillés avec les Japonais. Netaji n'aurait pas de difficulté à réorganiser et à développer cette organisation. Il obtiendrait le soutien actif de millions d'Indiens, les milliers de prisonniers de guerre indiens-britanniques lui fourniraient une grande facilité de recrutement, et ainsi il pourrait organiser une formidable armée de libération qui pourrait immédiatement être déployée dans les positions avancées que l'Armée Impériale japonaise avait conquis en avançant à travers les jungles épaisses de la péninsule de Malaisie et de Birmanie. Pendant sa rencontre avec Hitler le 29 mai, le Führer avait aussi suggéré qu'au vu de la situation mondiale, Netaji devrait transférer le centre de ses activités de l'Allemagne vers l'Extrême-Orient. Netaji pouvait regarder ses deux années de travail en Allemagne avec un sentiment de fierté et de réussite. Les émissions radio, les publications et la propagande s'étaient développées. Azad Hind Radio avait étendu ses programmes en plusieurs langues, et des rapports indiquaient qu'ils étaient écoutés avec intérêt dans les zones concernées; Azad Hind, un journal bilingue, était publié régulièrement. A côté de cela il y avait d'autres bulletins pour la Légion; le Centre de l'Inde Libre avait obtenu un statut officiel en Allemagne. Il était traité comme une mission étrangère, donnant à ses membres le droit à plus de ravitaillement, et les exemptant de quelques-unes des obligations en vigueur pour les étrangers. Netaji lui-même avait droit à une belle villa, une voiture et des rations spéciales pour des distractions. Son allocation personnelle se montait à environ 800 livres par mois. La subvention mensuelle pour le Centre de l'Inde Libre passa de 1 200 livres en 1941 à 3 200 en 1944. Tout cela était reçu par Netaji à titre d'emprunt au gouvernement allemand, à rembourser après que l'Inde aurait gagné son indépendance avec l'aide de l'Axe. Cependant, la tournure des événements réclamait maintenant sa présence sur un autre théâtre d'opérations. Qu'arriverait-il à la Légion en l'absence de Netaji? Elle était maintenant forte de 3 500 hommes, bien entraînée et équipée, prête à l'action. Netaji consulta ses adjoints à Berlin. A.C.N. Nambiar, un journaliste indien qui était en Europe depuis dix-huit ans à l'arrivée de Netaji en Allemagne, était son bras droit. Tout en se préparant pour son voyage vers le théâtre d'opérations d'Asie, Netaji transmettait à Nambiar ses consignes politiques et ses instructions. Hugh Toye écrit: Il y avait des plans pour de nouvelles branches du Centre de l'Inde Libre, pour la radio, pour que les Indiens étudient les méthodes de la police allemande, et pour l'entraînement de marins et d'aviateurs indiens. Comme pour la Légion, cela devait être mis en oeuvre aussitôt que possible, les officiers et NCO allemands devaient être rapidement remplacés par des Indiens, il ne devait pas y avoir de mélange. Les légionnaires devaient être entraînés avec tout l'équipement allemand le plus moderne, incluant l'artillerie lourde et les blindés; Bose enverrait d'autres instructions dès qu'il le pourrait. [12]Il faut ajouter quelques mots concernant la coopération et la camaraderie indo-allemande pendant les jours critiques de la Deuxième Guerre Mondiale, quand la Légion fut constituée. Personne ne pouvait mieux la décrire que Adalbert Seifritz, qui était un officier allemand dans le camp d'entraînement des légionnaires. Il écrit: Accepter les propositions de Bose était une magnifique concession et montrait le respect du gouvernement allemand pour la forte personnalité de Bose en ces temps critiques alors que tous les efforts allemands étaient concentrés sur la guerre ... La compréhension et le respect mutuels entre Indiens et Allemands, et la coopération croissante entre eux dans l'intérêt de la tâche commune rendit la Légion indienne capable de soutenir et de conserver la discipline jusqu'à la capitulation allemande de 1945. Pendant cette période d'entraînement et même plus tard, la camaraderie entre Indiens et Allemands ne put pas être détruite ... Une rencontre avec Subhas Bose était un événement spécial pour l'équipe des instructeurs allemands. Nous passâmes de nombreuse soirées avec lui, discutant de l'avenir de l'Inde. Il reste dans la mémoire des membres du groupe des instructeurs comme un personnage idéaliste et combatif, ne s'économisant jamais dans le service de son peuple et de son pays. Le fait le plus réjouissant était la réelle camaraderie qui grandissait entre Indiens et Allemands, qui se révéla dans les heures dangereuses, et qui existe encore aujourd'hui dans de nombreux cas. La Légion indienne fut un précieux instrument pour renforcer et consolider l'amitié indo-allemande. [13]Un récit de la visite d'Hitler au Quartier Général de la Légion indienne à Dresde fut fait par Shantaram Vishnu Samanta (un des légionnaires) pendant une interview à la presse en Inde, après sa libération d'un camp d'internement. D'après ses déclarations, Hitler s'adressa aux soldats de la Légion après que Netaji soit parti pour l'Asie. Il parla en allemand et son discours fut traduit en hindoustani par un interprète. Il dit: Vous avez la chance d'être nés dans un pays de glorieuses traditions culturelles et d'une puissance humaine colossale. Je suis impressionné par la passion brûlante avec laquelle vous et votre chef cherchez à libérer votre pays de la domination étrangère. La stature de votre chef est encore plus grande que la mienne. Alors que je suis le chef de 80 millions d'Allemands, il est le chef de 400 millions d'Indiens. A tous les égards il est un plus grand dirigeant et un plus grand général que moi- même. Je le salue, et l'Allemagne le salue. C'est le devoir de tous les Indiens de l'accepter comme leur Guide et de lui obéir sans hésiter. Je ne doute pas que si vous faites cela, son action conduira très bientôt l'Inde à la liberté.Une déclaration faite par un autre soldat de la Légion indienne, qui resta anonyme, donne une version un peu différente. Il déclara que Netaji et Hitler saluèrent conjointement la Légion indienne et l'infanterie allemande. En plus des paroles citées plus haut, Hitler aurait dit également: Civils allemands, soldats et Indiens libres ! Je saisis cette occasion pour saluer votre actif Guide, Herr Subhas Chandra Bose. Il est venu ici pour guider tous ces Indiens libres qui aiment leur pays et sont déterminés à le libérer du joug étranger. Je ne me sens pas le droit de vous donner des instructions ou des conseils, parce que vous êtes les fils d'un pays libre, et vous préférerez naturellement obéir au Chef reconnu de votre propre pays. [14]Cependant, les récits de la visite d'Hitler et de son discours aux légionnaires indiens ne sont pas confirmés par d'autres sources. Netaji devait quitter l'Allemagne le 8 février 1943. Le 26 janvier, «le Jour de l'Indépendance de l'Inde» fut célébré dans une grande réception à Berlin avec des centaines d'invités. Le 28 janvier, qui était réservé pour célébrer «le Jour de la Légion» en l'honneur de la Légion indienne, il s'adressa à elle pour la dernière fois. Il semble que ce départ fut tenu secret pour son armée. Ainsi il n'y eut aucune émotion visible parmi les hommes; aucun geste d'adieu. L'impression que Netaji laissait au Centre de l'Inde Libre, était qu'il partait pour un voyage prolongé. Ainsi il n'y eut aucun signe d'anxiété. A l'exception de quelques officiers allemands de haut rang et de ses plus proches adjoints, personne ne savait que dans une semaine et demie, il embarquerait pour le plus périlleux voyage entrepris par l'homme: un voyage en sous-marin à travers les eaux infestées de mines, pour l'autre bout du monde. En son absence, Nambiar le remplaça comme successeur et gagna bientôt le respect des légionnaires. Deux mois après le départ de Netaji, suite à une discussion entre le commandement militaire allemand et le Centre de l'Inde Libre, il fut décidé de transférer la Légion de Königsbrück vers une région côtière en Hollande, pour l'associer à un entraînement pratique de défense côtière. C'était aussi en accord avec les souhaits de Netaji. Il avait souvent exprimé le désir de donner dès que possible à ses troupes un entraînement à la défense côtière. Après que le premier bataillon ait donné une cordiale fête d'adieu, un incident imprévu survint dans la Légion; deux compagnies du second bataillon refusèrent de partir. On comprit bientôt qu'il y avait trois raisons principales à cette rébellion mineure. Quelques légionnaires étaient mécontents de ne pas avoir été promus, mais leurs noms devaient être mis sur la liste d'attente; quelques-uns ne voulaient simplement pas quitter Königsbrück; quelques-uns étaient influencés par une rumeur disant que Netaji les avait abandonnés et était parti en les laissant entièrement à la merci des Allemands, qui allaient maintenant les utiliser sur le front de l'ouest, au lieu de les envoyer en Asie combattre pour la libération de l'Inde. Cependant, la rébellion fut bientôt jugulée après qu'une équipe du NCO ait rencontré les dirigeants du Centre de l'Inde Libre à Berlin et obtenu une clarification concernant les griefs des légionnaires rebelles. L'équipe revint au camp et assura aux hommes qu'ils ne seraient pas envoyés au combat mais étaient là seulement dans un but d'entraînement pratique, selon les voeux de Netaji; que les promotions ne seraient pas annulées, qu'elles suivraient en temps utile; et que Netaji ne les avait pas abandonnés, et qu'ils seraient informés de sa situation et de ses plans aussitôt que possible. En application de la discipline militaire, les meneurs de cet acte d'insubordination furent envoyés en prison pour une période limitée. La Légion fut cantonnée dans la zone côtière de Hollande pendant cinq mois. Ensuite, il fut décidé de la déplacer dans la zone côtière de Bordeaux en France, dans l'embouchure de la Gironde, en face des fortifications de Royan dans la baie d'Arcachon. La Légion fut prise en charge ici. Le séjour en France fut utilisé pour donner aux légionnaires un entraînement complet concernant l'armement requis pour la défense du Mur de l'Atlantique. Au printemps de 1944, les douze premiers Indiens furent promus officiers. Le Feld-Maréchal Rommel, qui était responsable du Mur de l'Atlantique, visita une fois la zone où le contingent indien était cantonné. Ganpulay écrit: ... après avoir vu le travail effectué par les Indiens, il s'exclama: «Je suis agréablement surpris de voir qu'en dépit d'un manque d'entraînement à la défense côtière, le travail fait ici est assez satisfaisant». En partant, il dit aux soldats indiens: «Je suis content de voir que vous avez fait du bon travail; je vous souhaite bonne chance, à vous et à votre chef!» [15]Au printemps de 1944, une compagnie de la Légion fut envoyée en Italie du Nord à la requête de quelques officiers qui cherchaient une occasion d'affronter les forces britanniques. Après l'invasion de la Normandie par les forces alliées en juin 1944, la situation militaire en Europe commença à se détériorer. Elle devint finalement si critique que le Haut-Commandement allemand décida d'ordonner à la Légion indienne de revenir en Allemagne. Ainsi, après dix mois de séjour dans la région côtière de Lacanau en France, la Légion indienne commença son voyage de retour. Il faut savoir qu'à ce moment, avec le débarquement des troupes alliées en France et leur avance progressive à travers la campagne française, le Maquis français (clandestin) était devenu très actif, et il prit pour cible les légionnaires en même temps que les troupes allemandes. Après avoir parcouru une certaine distance, le premier bataillon de la Légion fut temporairement cantonné dans la région de Mansle près de Poitiers, alors que les deuxième et troisième bataillons furent cantonnés à Angoulême et Poitiers respectivement. Après être restés dix jours dans cette région, période pendant laquelle ils eurent à parer à des attaques sporadiques des clandestins français, les légionnaires reprirent la route. Pendant cette longue marche de retour vers l'Allemagne, la Légion fit preuve d'un courage et d'un moral exemplaires, et supportèrent les rigueurs et les épreuves du champ de bataille avec sérénité. A ce moment, la propagande britannique était dirigée sur ces hommes avec beaucoup de promesses creuses; des tracts furent largués par des avions, pendant que des agents s'infiltraient dans leurs rangs pour persuader les hommes de déserter. La propagande promettait aux futurs déserteurs qu'ils seraient réintégrés dans l'armée indienne britannique avec une pleine paie et pension rétroactives, mais l'hypocrisie britannique fut encore une fois manifeste lorsque quelques soldats qui avaient mordu à cet appât furent fusillés plus tard par les Français, en public sur une place de marché à Poitiers, sans aucun jugement, en même temps que quelques prisonniers de guerre allemands. En suivant l'aventure de l'Armée Indienne de Libération en Occident, on doit se rappeler que son destin était indissolublement lié à celui des Puissances de l'Axe en Europe, et particulièrement à l'Allemagne. L'écrasement des nouveaux régimes révolutionnaires d'Europe par les forces représentant une alliance du capitalisme et du marxisme fut une tragédie internationale qui engloutit aussi la Légion Indienne. Pendant sa retraite vers l'Allemagne, elle affronta les forces ennemies à plusieurs reprises et livra des combats d'arrière-garde contre les forces britanniques et françaises, montrant une bravoure exemplaire. L'entraînement militaire allemand avait transformé le régiment non seulement en un corps bien discipliné, mais aussi en unité combattante endurcie. C'est bien par une ironie de l'Histoire que cette superbe force ne put pas être utilisée pour les buts et de la manière dont son fondateur et chef, Subhas Chandra Bose, l'avait rêvé. Cependant, le 950ème Régiment Indien, comme la Légion était officiellement appelée, laissa son empreinte sur les champs de bataille de France et d'Allemagne, comme leurs nombreux et vaillants camarades de l'armée allemande. A la fin de 1944 jusqu'à Noël, la Légion indienne passa son temps dans des villages tranquilles de l'Allemagne du Sud. Entre Noël et la nouvelle année 1945, l'unité reçut l'ordre de faire mouvement vers le camp militaire de la ville de garnison de Heuberg. Au printemps de 1945, les forces alliées traversèrent le Rhin. Les Russes entrèrent dans les provinces d'Allemagne de l'Est, tuant et pillant dans les villes et les villages. Des formations de bombardiers lourds détruisirent les villes allemandes. Les transports furent complètement désorganisés et paralysés. La fin était proche, et il n'y avait pas de raison de rester dans les baraquements. Par conséquent, la Légion quitta ses quartiers d'hiver de Heuberg en mars 1945, et se dirigea vers les cols alpins. A ce moment, toutes les communications avec le Centre de l'Inde Libre à Berlin avaient été coupées. Les Commandants de la Légion prenaient leurs décisions indépendamment. La Légion avait déjà atteint les régions alpines à l'est du lac de Constance. Cependant, avec la capitulation des forces allemandes le 7 mai, tous les espoirs prirent également fin pour l'Armée de l'Inde Libre. Alors qu'ils tentaient de traverser vers la Suisse, les légionnaires furent submergés par des unités américaines et françaises et furent faits prisonniers. Ceux qui tombèrent entre les mains des Français eurent à souffrir de très cruels traitements. Plusieurs furent fusillés, et d'autres moururent dans des camps de prisonniers dans des conditions misérables. Les autres furent finalement remis aux Britanniques. Bien qu'elle ait été ainsi prise dans le tourbillon de la désintégration de l'Axe en Europe, l'Armée de Libération de Netaji en Occident s'était faite une place dans l'Histoire; car en effet, c'était un noyau qui précipiterait finalement la formation d'une force combattante bien plus grande à un autre endroit. Inspirée par son chef, cette force marcherait sur l'Inde pour mettre en action un processus qui délivrerait finalement le pays de l'asservissement étranger. Par conséquent, on ne doit pas considérer l'aventure de l'Armée Nationale de Libération en Europe comme un événement isolé qui finit tragiquement. Alors que son rêve de traverser le Caucase avec ses alliés, les forces armées allemandes, et d'entrer en Inde par le nord-ouest, ne se matérialisa pas dans la réalité, l'armée qui en fut l'extension et la continuation, l'Armée Indienne de Libération d'Asie, entra dans le pays par la direction opposée, réalisant ainsi le rêve le plus cher de Netaji et de ses soldats. Plus encore, comme nous le verrons plus loin, cette armée apporta la plus puissante contribution à la fin de la domination impérialiste en Inde. Pendant sa discussion avec Netaji, Hitler lui avait suggéré que comme il faudrait au moins un ou deux ans avant que l'Allemagne puisse avoir une influence directe sur l'Inde, et alors que l'influence du Japon, au vu de ses spectaculaires succès en Asie du sud-est, pouvait devenir réelle en quelques mois, Bose devrait négocier avec les Japonais. Le Führer dissuada Bose de faire le voyage par air, ce qui pourrait l'obliger à un atterrissage forcé en territoire britannique. Il pensait que Bose était une personnalité trop importante pour laisser mettre sa vie en danger par une telle expérience. Hitler suggéra qu'il pourrait prendre place dans un sous-marin allemand qui l'emmènerait jusqu'à Bangkok en passant par le Cap de Bonne Espérance. [16] Cependant, en dépit des suggestions d'Hitler, il semble que les Affaires Etrangères allemandes montraient quelque déplaisir à laisser Netaji quitter l'Allemagne et aller au Japon. Le Colonel Yamamoto Bin, attaché militaire japonais à Berlin (et bon ami personnel de Netaji), et l'ambassadeur japonais, le Lieutenant-général Oshima Hiroshi, avaient rencontré Netaji dès octobre 1941, lorsque ce dernier exprima le voeu d'obtenir l'aide japonaise pour son plan d'arracher l'indépendance de l'Inde. Ce fut le début d'une série de rencontres semblables. Après l'entrée du Japon dans la 2ème Guerre Mondiale en décembre, Netaji était impatient de partir en Asie le plus tôt possible et de combattre aux côtés du Japon pour la libération de l'Inde. Il semble qu'il demanda à Oshima d'user de son influence pour assurer son passage en Asie. C'est à peu près à ce moment que Oshima et Yamamoto sentirent une certaine réticence sur cette question, de la part des Affaires Etrangères allemandes. Ils avaient l'impression que l'Allemagne ne voulait pas laisser le Japon conduire l'Inde vers l'indépendance. Bose était déjà un allié utile en tant que patriote indien, et ses émissions radio de propagande avaient un effet à la fois en Inde et en Grande-Bretagne. La Légion indienne avait déjà un impact psychologique en Inde, et en causant une inquiétude chez les Alliés. Pour ces raisons, «ils gardaient Bose comme un bébé tigre». [17] Dans le même temps, l'ambassadeur Oshima avait aussi rencontré Hitler et lui avait exposé le plan de Bose. Selon des sources japonaises: Le Führer tomba d'accord avec Oshima sur le fait qu'il était meilleur pour Bose de transférer ses activités en Asie du sud-est, maintenant que les armées du Japon avaient submergé la région. Le deuxième problème était de savoir si Bose obtiendrait un appui suffisant de Tokyo pour ses activités. Pour cela, Oshima avait contacté Tokyo de nombreuses fois mais n'avait pas reçu de réponse claire. Finalement, Tokyo répondit à Oshima qu'en principe il n'y avait pas d'objection à une visite de Bose au Japon. Le troisième problème était de fournir à Bose un moyen de transport sûr vers le Japon. La communication entre l'Allemagne et le Japon était impossible à cette époque. Le passage par bateau était hors de question; et il fut décidé d'utiliser un avion de la compagnie Lufthansa pour transporter Bose de l'Allemagne au Japon, en passant par l'Union soviétique. Tojo (le Premier Ministre japonais) objecta que cela reviendrait à violer la confiance de l'Union soviétique. Une tentative fut faite à la fois par Yamamoto et par Bose pour obtenir un avion italien, mais cela non plus ne marcha pas. Finalement le choix s'arrêta sur un sous-marin. L'Allemagne accepta de transporter Bose jusqu'à un certain endroit en Asie et demanda qu'un sous-marin japonais soit disponible à partir de là. Après une série de discussions avec son gouvernement, Oshima obtint finalement l'approbation de Tokyo et le communiqua à Bose. [18]Alexander Werth écrit: Une intéressante anecdote concernant ce voyage historique peut être mentionnée ici. Peu de temps avant le départ de Bose, le commandement naval japonais éleva une objection parce qu'un règlement interne ne permettait pas à des civils d'embarquer sur un bâtiment de guerre en temps de guerre. Quand Adam von Trott (des Affaires Etrangères allemandes) reçut ce message par câble de l'ambassade allemande à Tokyo, il envoya la réponse suivante: «Subhas Chandra Bose n'est en aucune manière une personne privée, mais le Commandant en chef de l'Armée de Libération de l'Inde». Ainsi cet obstacle bureaucratique fut surmonté. [19]Le 8 février 1943, accompagné par Keppler, Nambiar et Werth, Netaji arriva au port de Kiel où un sous-marin allemand sous de commandement de Werner Musenberg l'attendait. Celui qui serait son seul compagnon pendant ce périlleux voyage, Abid Hasan, avait voyagé séparément vers Kiel dans un compartiment spécial, sans connaître sa destination. Il fut informé de la destination seulement après le début du voyage. Netaji laissait derrière lui ses 3 500 soldats de la Légion Indienne -- le 950ème Régiment de l'Armée allemande, spécialement entraînés et équipés pour la tâche de libérer l'Inde asservie par les Britanniques. Nous avons déjà raconté l'histoire et le destin de la Légion. Maintenant tournons-nous vers l'Asie. Suite |