Subhas Chandra Bose, l'armée nationale indienne et la guerre de libération de l'Inde

Ranjan Borra

L'Armée Nationale de Libération de l'Inde en Asie

Le 15 février 1942, Singapour tomba aux mains de l'armée japonaise avançant vers le sud de la péninsule malaise. Deux jours plus tard, lors d'une cérémonie impressionnante qui se tint à Farrar Park au coeur de la ville, les troupes indiennes [britanniques] commandées par le colonel Hunt, se rendirent aux Japonais. 

Le Major Fujiwara reçut la reddition au nom des Japonais victorieux, et annonça ensuite qu'il les remettait aux mains du capitaine Mohan Singh du contingent indien, à qui ils devraient obéir en tant que commandant suprême. Mohan Singh s'adressa alors aux prisonniers indiens, exprimant son intention de faire d'eux une armée nationale indienne, dans le but de combattre pour la liberté de l'Inde. Il eut une discussion préliminaire avec quelques indiens représentatifs de Malaisie et de Birmanie, dans une rencontre à Singapour les 9 et 10 mars, qui était attendue par Rashbehari Bose, un révolutionnaire indien vétéran qui vivait en exil au Japon depuis le dernier quart de siècle. Bose convoqua alors une conférence à Tokyo, qui se tint les 28-30 mars. Les délégués présents à la conférence, représentant plusieurs pays d'Asie de l'est et du sud-est, décidèrent de former la Ligue pour l'Indépendance de l'Inde pour organiser un mouvement indépendantiste indien en Asie de l'est. Bose fut reconnu comme chef de l'organisation. La conférence résolut ensuite que «l'action militaire contre les Britanniques en Inde serait menée seulement par l'Armée Nationale Indienne (INA) et sous commandement indien, ainsi que toute assistance et coopération militaire, navale et aérienne qui pourrait être demandée aux Japonais par le Conseil d'Action», et ensuite que «après la libération de l'Inde, la définition de la future constitution de l'Inde serait laissée entièrement aux représentants du peuple de l'Inde.» [20] 

Le 15 juin 1942, une conférence s'ouvrit à Bangkok avec plus d'une centaine de délégués de l'IIL (Indian Independance League) venus de toute l'Asie. A la clôture de la conférence de neuf jours une résolution fut adoptée unanimement, définissant la politique du mouvement indépendantiste en Asie de l'est. L'IIL fut proclamée comme l'organisation représentative pour lutter pour la liberté de l'Inde; l'Armée Nationale Indienne fut déclarée bras militaire du mouvement avec Mohan Singh comme commandant en chef et Rashbehari Bose fut élu président du Conseil d'Action. Il fut plus tard décidé que Singapour serait le siège de l'IIL. Netaji avait déclaré dans un message à la conférence que son expérience personnelle l'avait convaincu que le Japon, l'Italie et l'Allemagne étaient des ennemis jurés de l'impérialisme britannique; cependant, l'indépendance pouvait venir seulement par les efforts des Indiens eux-mêmes. La liberté de l'Inde signifierait la déroute de l'impérialisme britannique. L'Armée Nationale Indienne fut officiellement constituée en septembre 1942. 

Malheureusement, à ce moment une méfiance commença à grandir dans le groupe indien contre la direction de Rashbehari Bose. Certains pensaient que comme il avait été longtemps associé avec le Japon, il donnait la priorité aux intérêts japonais sur les intérêts indiens. Selon des sources japonaises: 

Certains pensaient même qu'il était seulement le protégé des Japonais, et que ces derniers exploitaient les Indiens pour leurs propres fins. Ce ressentiment se termina finalement par une rébellion d'un groupe de dirigeants conduits par le capitaine Mohan Singh dans l'INA en novembre 1942. En conséquence, Mohan Singh et son associé, le colonel Gill furent tous deux arrêtés par les Japonais et l'Armée Indienne fut dissoute. Cependant en 1943 une nouvelle Armée Indienne fut organisée, sous le commandement du lieutenant-colonel Bhonsle, qui resta à ce poste jusqu'à la dissolution finale de l'armée. [21]
Décrivant la nouvelle INA, Joyce Lebra écrit: 
Le 15 février 1943, l'INA fut réorganisée et les anciens rangs et écussons ressurgirent. Le Directeur du Bureau Militaire, le lieutenant-colonel Bhonsle, était clairement placé sous l'autorité de l'IIL, pour éviter toute répétition de la rivalité IIL-INA. Sous Bhonsle il y avait le Lt-Col. Shah Nawaz Khan comme Chef d'Etat-major, le major P.K. Sahgal comme Secrétaire Militaire; le major Habibur Rahman comme commandant de l'Ecole d'Entraînement des officiers, et le Lt-Col. A.C. Chatterji, et plus tard le major A.D. Jahangir, comme chef des Renseignements. A côté de ces cadres il y avait l'Armée elle-même, sous le commandement du Lt-Col. M.Z. Kiani. Ce fut l'organisation de l'INA, jusqu'à l'arrivée de Subhas Chandra Bose venant de Berlin, six mois plus tard.
En février, l'officier japonais Iwakuro avait convoqué une réunion d'environ 300 officiers de l'INA au camp de Bidadri à Singapour et leur parla de l'opportunité de rejoindre l'armée, mais sans effet. Selon Ghosh, «plus tard, dans un tête à tête avec quelques officiers, il apparut qu'un grand nombre d'officiers et d'hommes voulaient bien continuer le combat avec l'INA, mais à la condition expresse que Netaji viendrait à Singapour.» [23] 

L'histoire des exploits de Netaji en Allemagne et l'histoire de la Légion Indienne était connue des révolutionnaires indiens de l'IIL en Asie depuis quelque temps à présent, et ils attendaient impatiemment son arrivée. Comme la première INA s'était développée, avait douté et avait finalement été dissoute, et comme celle qui lui succédait continuait simplement à exister, la nécessité de l'autorité de Netaji commençait à se faire sentir plus vivement. Mohan Singh avait mentionné son nom au général Fujiwara dès le début de 1941. Dans toutes les conférences, la nécessité de sa direction avait été soulignée par les délégués. 

Pendant que Netaji et Abid Hasan continuaient à faire route vers l'Asie, faisant une large boucle dans l'Atlantique, un sous-marin japonais quittait comme prévu l'île de Penang le 20 avril pour la pointe de l'Afrique, avec l'ordre strict de ne pas attaquer l'ennemi ni de risquer d'être repéré. Les deux sous-marins avaient rendez-vous 100 miles au sud-sud-est de Madagascar le 26 avril. Après s'être signalés l'un à l'autre et après avoir confirmé leur identité, les sous-marins attendirent pendant une journée que la mer devienne calme. Ensuite le 28 avril, qui fut le jour du seul transfert de passagers entre sous-marins (pendant la 2ème Guerre Mondiale) dans une zone dominée par les forces aériennes et navales de l'ennemi, Netaji et Abid Hasan furent embarqués sur le sous-marin japonais par un canot pneumatique. 

Traversant l'océan, le sous-marin japonais 1-29 atteignit Sabang le 6 mai 1943. C'était un îlot isolé au large, au nord de Sumatra. Là Netaji fut accueilli par le Colonel Yamamoto, qui était le chef du Hikari Kikan, le groupe de liaison nippo-indien. De Sabang, Netaji et Yamamoto partirent pour Tokyo en avion, s'arrêtant en route à Penang, Manille, Saïgon et Taïwan. L'avion atterrit à Tokyo le 16 mai. Pendant tout son voyage en sous-marin depuis l'Allemagne et pendant environ un mois après son arrivée à Tokyo, l'identité et la présence de Netaji furent tenues secrètes. Il était supposé être un VIP japonais nommé Matsuda. 

Bien qu'il resta incognito pendant ses premières semaines au Japon, Netaji ne perdit pas de temps à attendre passivement. A partir du 17 mai, il rencontra les Chefs d'Etat-Major de l'Armée et de la Marine japonaise, le Ministre de la Marine et celui des Affaires Etrangères en une succession rapide. Cependant, il dut attendre à peu près trois semaines avant que le Premier Ministre japonais Tojo lui accorde un entretien. Mais Tojo fut si impressionné par la personnalité de Netaji qu'il lui proposa de le rencontrer à nouveau dans quatre jours. Deux jours plus tard, le 16 juin, Netaji fut invité à assister à une séance de la Diète, où Tojo le surprit avec sa déclaration historique sur l'Inde: 

Nous sommes indignés par le fait que l'Inde soit encore sous la répression impitoyable de la Grande-Bretagne et nous avons une pleine sympathie pour son combat désespéré pour l'indépendance. Nous sommes déterminés à apporter toute l'assistance possible à la cause de l'indépendance de l'Inde. Nous croyons que le jour n'est pas éloigné, où l'Inde jouira de la liberté et de la prospérité après avoir gagné son indépendance. [24]
Ce ne fut pas avant le 18 juin que Radio-Tokyo annonça l'arrivée de Netaji. La nouvelle fut rapportée dans la presse de Tokyo le jour suivant. A cette nouvelle, l'atmosphère devint électrique. La presse et la radio de l'Axe soulignèrent la signification de cet événement. L'INA et le mouvement indien pour l'indépendance prirent soudain une importance beaucoup plus grande aux yeux de tous. Le 19 juin, Netaji tint une conférence de presse. Elle fut suivie de deux émissions à la radio pour proclamer partout sa présence en Asie de l'est, et pendant ce temps il exposa son plan d'action. Le plan de Bose consistait à coordonner les forces nationalistes à l'intérieur de l'Inde et à l'extérieur, pour en faire un gigantesque mouvement suffisamment puissant pour balayer les occupants britanniques en Inde. Le calcul sur lequel Bose semble avoir fondé son ambitieux plan est que les conditions internes en Inde étaient mûres pour une révolte. Le mouvement de non-coopération devait se transformer en révolte active. [25] 

Pour citer les propres mots de Netaji pendant sa conférence de presse: «la désobéissance civile doit se transformer en combat armé. Et c'est seulement quand le peuple indien aura reçu le baptème du feu à une large échelle qu'il méritera d'obtenir sa liberté». [26] Netaji se lança alors dans une série de rencontres, de conférences de presse, d'émissions radio et de conférences pour expliquer sa tâche immédiate aux gens concernés, et au monde. 

Accompagné par Rashbehari Bose, Netaji arriva à Singapour le 27 juin. Il reçut un accueil enthousiaste des résidents indiens et fut abondamment «enguirlandé» [la coutume indienne de bienvenue, NDT] partout où il alla. Ses discours tenaient ses auditeurs sous le charme. A partir de ce moment, une légende grandit autour de lui, et sa magie contaminait ses auditoires. S'adressant aux représentants des communautés indiennes de l'Asie de l'Est le 4 juillet, il dit: «N'étant pas satisfaits d'une campagne de désobéissance civile, les Indiens sont maintenant moralement préparés à employer d'autres moyens pour obtenir leur libération. Par conséquent le temps est venu de passer au stade suivant de notre campagne. Toutes les organisations aussi bien à l'intérieur de l'Inde qu'à l'extérieur, doivent à présent se transformer en une organisation combattante disciplinée sous un seul commandement. Les buts et les objectifs de cette organisation doivent être de prendre les armes contre l'impérialisme britannique lorsque le temps sera venu et le signal donné.» [27] [Photo: Bose accueilli aux Philippines.] 

Lors du meeting où Netaji prononça ces mots, Rashbehari Bose transmit formellement à Subhas Chandra Bose la direction de l'IIL, et le commandement de l'INA. La salle était remplie à craquer. Dans son dernier discours en tant que Chef du mouvement, Rashbehari Bose dit: 

Amis! C'est l'un des moments les plus heureux de ma vie. Je vous ai amené l'une des personnalités les plus éminentes de notre Grande Patrie pour participer à notre campagne. En votre présence aujourd'hui, j'abandonne mon poste de président de la Ligue pour l'Indépendance de l'Inde en Asie de l'Est. A partir de maintenant, Subhas Chandra Bose est votre président, votre chef dans le combat pour l'indépendance de l'Inde, et je suis sûr que sous sa direction, vous marcherez à la bataille et à la victoire. [28]
Pendant ce meeting Netaji annonça son plan pour organiser un gouvernement provisoire de l'Inde Libre. 
Ce sera la tâche de ce gouvernement provisoire de mener la révolution indienne à sa conclusion victorieuse ... le gouvernement provisoire aura à préparer le peuple indien, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Inde, à un combat armé, qui sera le point culminant de tous nos efforts nationaux depuis 1883. Nous avons un combat farouche à mener. Dans cette marche finale vers la liberté, vous aurez à faire face au danger, à la soif, aux privations, aux marches forcées, et à la mort. C'est seulement quand vous aurez passé cette épreuve que la liberté sera à vous. [29]
Le jour suivant, le 5 juillet, Netaji prit le commandement de l'Armée Nationale Indienne, à présent baptisée Azad Hind Fauj (Armée de l'Inde Libre). Tojo arriva de Manille à temps pour passer les troupes en revue en compagnie de Bose. S'adressant aux soldats, Netaji dit: 
Pendant ma carrière publique, j'ai toujours senti que bien que l'Inde soit mûre pour l'indépendance par bien des manières, elle manquait d'une chose, c'est-à-dire d'une armée de libération. Georges Washington en Amérique put combattre et gagner la liberté, parce qu'il avait son armée. Garibaldi put libérer l'Italie parce qu'il avait ses volontaires armés derrière lui. C'est vous qui avez le privilège et l'honneur d'être les premiers à marcher et à organiser l'armée nationale de l'Inde. En faisant cela vous avez supprimé le dernier obstacle sur le chemin de notre liberté ... Quand la France déclara la guerre à l'Allemagne en 1939 et que la guerre commença, il n'y eut qu'un seul cri sur les lèvres des soldats allemands: «A Paris! A Paris!». Quand les braves soldats du Japon se mirent en marche en décembre 1941, il n'y eut qu'un seul cri sur leurs lèvres: «A Singapour! A Singapour!». Camarades! Soldats! Que votre cri de guerre soit: « A Delhi! A Delhi!». Combien d'entre nous survivront individuellement à cette guerre de libération, je ne le sais pas. Mais je sais que nous gagnerons finalement, et notre tâche ne prendra pas fin avant que nos héros survivants défilent victorieusement sur une autre tombe de l'Empire Britannique: Lal Kila, le Fort Rouge de l'ancienne Delhi. [30]
Le 27 juillet, Netaji quitta Singapour pour un voyage de 17 jours dans les pays d'Asie de l'est et du sud-est. Le premier objectif de ce voyage était d'obtenir une aide morale et financière pour son mouvement, de la part des autres pays et des communautés indiennes. Il reçut un accueil chaleureux à Rangoon, où il assista à l'Indépendance de la Birmanie le 1er août; de Rangoon, Netaji alla à Bangkok et rencontra le Premier Ministre thaïlandais Pilbulsongram. Il obtint l'appui moral de la Thaïlande et une ovation enthousiaste de la communauté indienne. Il s'envola ensuite pour Saigon et s'adressa aux résidents indiens. Retournant à Singapour un bref moment, il s'envola pour Penang pour rallier les 15 000 Indiens. Partout, il tint son assistance sous le charme pendant des heures par son talent oratoire, et à la fin de ses discours les gens se précipitaient vers l'estrade et déposaient devant lui tout ce qu'ils possédaient: un total de deux millions de dollars. Cette scène se répéta encore et encore dans les villes et les cités de toute l'Asie du sud-est, quand Netaji se tenait devant des milliers de gens tel un prophète, s'adressant à eux pour la cause de la liberté de l'Inde. Les marchands, les négociants, les hommes d'affaires et les femmes venaient de partout et donnaient leur fortune et leurs bijoux en abondance, pour permettre à leur chef de remplir sa mission. 

Dans son plan de mobilisation totale, Netaji avait prévu un projet grandiose pour une armée de trois millions d'hommes. Cependant, le but immédiat fut porté à 50 000. La majeure partie de ce nombre viendrait des prisonniers de guerre indiens et le reste de volontaires civils. Selon le plan de Bose il y aurait trois divisions de 30 000 réguliers et une autre unité de 20 000 hommes formée principalement de volontaires civils. Les autorités japonaises informèrent à ce moment Netaji qu'elles pourraient fournir des armes pour 30 000 hommes seulement. Cependant, après 1945, on sut de source autorisée que la force réelle de l'INA s'éleva à pas moins de 45 000 hommes. Après avoir terminé la réorganisation de la Ligue pour l'Indépendance de l'Inde et commencé la transformation de l'Armée, et après avoir mené une campagne fructueuse pour mobiliser les communautés indiennes en Asie du sud-est -- une phase qui dura de juillet à octobre -- Netaji se tourna vers la constitution du Gouvernement Provisoire de l'Azad Hind (l'Inde Libre). Cela devait être fait avant que l'Armée soit envoyée au combat. Ce gouvernement fut officiellement proclamé à Singapour lors d'un meeting de masse le 21 octobre 1943, pendant lequel Netaji fut unanimement élu Chef de l'Etat et Commandant Suprême de l'Armée Nationale Indienne. En prêtant serment il dit: 

Devant Dieu, je fais le serment sacré que pour libérer l'Inde et les 380 millions de compatriotes, moi Subhas Chandra Bose, je continuerai la guerre sacrée de libération jusqu'au dernier souffle de ma vie. Je resterai toujours un serviteur de l'Inde, et pour moi chercher le bonheur de 380 millions de frères et soeurs indiens sera le plus haut devoir. Même après avoir gagné la liberté, je serai toujours prêt à verser la dernière goutte de mon sang pour préserver la liberté de l'Inde. [31]
Le Gouvernement Provisoire de l'Inde Libre comptait cinq ministres avec Netaji comme Chef de l'Etat, Premier Ministre et Ministre de la Guerre, et des conseillers représentant les communautés indiennes en Asie de l'est. La première décision importante que prit le nouveau gouvernement fut sa déclaration de guerre à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, qui fut décidée dans la nuit du 22 au 23 octobre. Toye écrit: «Le Cabinet n'avait pas été unanime au sujet de l'inclusion des Etats-Unis [dans la déclaration de guerre]. Bose avait montré de l'impatience et du déplaisir. Son autorité absolue ne fut jamais en question à ce moment ou plus tard: le Cabinet n'avait pas de responsabilité et pouvait seulement donner un avis.» [32]. La reconnaissance du Gouvernement Provisoire vint rapidement de neuf pays: les puissances de l'Axe et leurs alliés. C'était: le Japon, la Birmanie, la Croatie, l'Allemagne, les Philippines, la Chine de Nankin, le Mandchoukuo, l'Italie et le Siam (Thaïlande), mais pour des raisons inconnues, la France de Vichy retint sa reconnaissance. L'Armée japonaise promit un appui illimité au Gouvernement Provisoire. 

Vers la fin d'octobre, Netaji s'envola à nouveau vers Tokyo pour rencontrer Tojo et pour assister à la grande conférence de l'Asie de l'Est. Comme l'Inde ne faisait géographiquement pas partie de cette zone, il assista à la conférence en tant qu'observateur. Il fit un impressionnant discours, appelant à la création d'une nouvelle Asie où tous les vestiges du colonialisme et de l'impérialisme seraient éliminés. La marine japonaise s'était emparée des îles d'Andaman et Nicober dans le Golfe du Bengale pendant les premiers mois de la guerre. En réponse à une requête de Netaji, le Premier Ministre Tojo annonça à la conférence que le Japon avait décidé de placer les deux îles sous la juridiction du Gouvernement Provisoire de l'Inde Libre, lui donnant ainsi sa première souveraineté sur un territoire. 

La cérémonie de transfert eut lieu en décembre, et Netaji nomma le Lt-Col. Loganathan, un officier des Services Médicaux, comme chef de la commission responsable de l'administration civile des îles. Peu après, les préparatifs commencèrent pour envoyer l'armée au front et transférer le siège du Gouvernement Provisoire à Rangoon, en Birmanie. Dans le même temps, Netaji annonça la formation d'une brigade féminine dans l'INA, et la nomma «Rani du Régiment de Jhansi» d'après la célèbre reine de Jhansi, Laxmibai, qui avait conduit ses guerriers contre les Britanniques lors d'un soulèvement pendant la Première Guerre d'Indépendance en 1857. Par coïncidence, une autre Laxmi, le Lt-Col. Laxmi, fut nommée à la tête de ce régiment par Netaji. En novembre, Netaji et le Q.G. militaire japonais décidèrent que la 1ère Division de l'INA et les G.G. civil et militaire seraient transférés en Birmanie en janvier 1944. 

La campagne d'Imphal

La campagne d'Imphal, incluant la bataille de Kohima -- la première ville importante prise par l'INA à l'intérieur de l'Inde -- restera peut-être comme l'une des plus audacieuses et désastreuses campagnes dans les annales de l'histoire militaire. Le général Mataguchi, commandant les forces japonaises en Birmanie du nord depuis 1943, avait accepté l'idée d'attaquer Imphal. Les objectifs d'une telle offensive étaient de prévenir toute invasion de la Birmanie en 1944 et d'établir les défenses japonaises sur les montagnes de la frontière. L'idée était d'abord de submerger les Britanniques à Arakan, attirant toutes leurs réserves dans la bataille pour Chittagong, porte d'entrée vers le Bengale. Ensuite, en avril, Kohima et Imphal pourraient être prises facilement, sans craindre qu'elles soient renforcées. La mousson, commençant en mai, interromprait les opérations, et après les pluies, en l'absence d'une nouvelle position défensive britannique à l'est de la rivière Brahmaputra, l'Assam tout entier et l'est du Bengale seraient à la merci de l'INA et des Japonais. 

Imphal, la capitale de l'Etat de Manipur, se trouve sur un plateau désolé, presque sans arbres, juste derrière la frontière indienne. Son altitude est d'environ 3 000 pieds, surmonté de toutes parts par des montagnes infranchissables. La chaîne de montagne à l'est avec des pics de 2 000 à 4 000 pieds au-dessus du plateau s'étend sur quelques 500 miles. A l'ouest et au sud se trouvent les collines de Chin de la chaîne d'Arakan, une formidable étendue de terrain inhospitalier. La jungle entourant le bassin est hostile à l'habitat humain. L'accès nord vers la plaine depuis l'Inde et l'Assam passe par Dimapur et par le chemin à pic de Kohima. Depuis Dimapur, une unique voie de chemin de fer serpente à travers l'Assam et le Bengale et était un important objectif militaire pour les deux armées. Pour l'INA l'importance de la campagne d'Imphal était que c'était la première bataille importante à laquelle elle participerait avec l'objectif de conquérir la liberté de l'Inde. Comme l'écrivent Salto et Hayashida: 

L'opération d'Imphal était l'offensive finale de la guerre en Asie de l'Est, menée par trois divisions japonaises basées en Birmanie, et une division de L'INA. La campagne dura du 15 mars au 9 juillet 1944. L'opération a souvent été comparée à l'opération Wacht am Rhein ou Bataille du Bulge [la bataille des Ardennes, NDT], qui fut la dernière offensive générale déclenchée par l'Allemagne dans les Ardennes sur le front de l'Ouest, de décembre 1944 à janvier 1945. Les deux opérations réussirent presque et toutes deux sont qualifiées de «coup de poker» par les historiens d'aujourd'hui. Si la poussée allemande vers les Ardennes s'appelait Wacht am Rhein, la ruée nippo-indienne sur Imphal pourrait être appelée «Wacht am Chindwin» bien que le nom de code japonais pour l'opération était plus prosaïque: «Opération U». [33]
La rivière Chindwin se trouve à la frontière indo-birmane, et sa traversée à partir de l'est par une armée marquerait une invasion de l'Inde. 

Les ordres exécutifs pour l'Opération «U» devinrent effectifs le 7 janvier 1944, coïncidant avec le transfert du Q.G. du Gouvernement Provisoire à Rangoon. Dans la soirée du même jour, le général Masakazy Kawabe, commandant le Q.G. pour toute la Birmanie, donna une réception en l'honneur de Netaji et de son Etat-Major. Netaji parla, et conclut son discours par ces mots: «Ma seule prière au Tout-puissant en cet instant est qu'il nous donne au plus tôt l'occasion de payer notre liberté avec notre propre sang». [34]. Une division de l'INA, nommée Régiment Subhas en l'honneur de Netaji, était prête à monter au front avec les Japonais. Toye écrit: 

Il passa des journées entières ... avec le Régiment Subhas, révisant, le regardant à l'exercice et à la parade, parlant avec ses officiers, exerçant sa magie à un degré qu'il n'avait jamais atteint auparavant. C'étaient là ses camarades, les hommes par lesquels il voulait relever les droits et l'honneur de l'Inde. Tout dépendait de leur réussite dans la bataille; ils devaient sentir toute sa confiance, sentir toute sa force personnelle. Le 3 février, il leur dit adieu: «Le sang appelle le sang. Debout! Nous n'avons pas de temps à perdre. Prenez vos armes! La route est devant vous. Nos pionniers ont bâti. Nous suivrons ce chemin. Nous passerons à travers les rangs de nos ennemis, ou si Dieu le veut, nous aurons la mort des martyrs. Et dans notre dernier sommeil nous embrasserons la route qui conduire notre armée à Delhi. Le chemin vers Delhi est le chemin vers la liberté. A Delhi!» [35]
Mataguchi fixa la date du 15 mars comme Jour J pour le début de la campagne d'Imphal. Le déploiement de plus de 120 000 hommes le long de la rivière Chindwin, un front de quelques 200 km, se fit sans incident et ne fut pas détecté par les espions britanniques implantés dans la région. Dans le même temps, Netaji reçut quelques bonnes nouvelles. L'offensive sur Arakan, déclenchée le 4 février, avait coupé la retraite de la 7ème division indienne de l'armée britannique dans la vallée de Mayu. La reconnaissance et l'intoxication d'un avant-poste indien par le major Misra, commandant de l'INA à Arakan, contribua à ce succès. En même temps, Netaji reçut des messages du réseau clandestin travaillant à l'intérieur de l'Inde sous sa direction, dont les espions spécialement entraînés avaient été introduits par sous-marins. Le Jour J, Mataguchi rassembla les correspondants de guerre dans son Q.G. en Birmanie centrale et déclara: «Je suis fermement convaincu que mes trois divisions s'empareront d'Imphal en un mois. Pour qu'elles puissent marcher plus rapidement, elles portent l'équipement le plus léger possible et de la nourriture pour trois semaines. Tous, ils trouveront tout le nécessaire dans les réserves et les entrepôts britanniques. Messieurs! Rendez-vous à Imphal pour la célébration de l'anniversaire de l'Empereur le 29 avril.» [36] 

L'offensive nippo-indienne prit les Britanniques complètement par surprise. Les troupes japonaises et celles de l'INA galopèrent à travers les montagnes et les jungles, mettant l'ennemi en déroute. Avant l'offensive d'Imphal, un détachement de l'INA sous le commandement du colonel Saligal avait créé une brèche dans les lignes britanniques dans le secteur d'Arakan. A présent le déploiement de l'INA était étendu au secteur d'Imphal. Pendant que l'INA sous le commandement de Netaji prenait pied sur le sol indien, la principale force japonaise vint à bout de la résistance obstinée de l'ennemi le 22 mars, passa la frontière indo-birmane et avança à partir du nord et de l'ouest pour encercler Imphal. Le succès initial de l'INA sur le front d'Arakan provoqua beaucoup d'enthousiasme. Dans un ordre du jour spécial, Netaji parla «des actions glorieuses et brillantes des braves forces de l'Azad Hind Fauj». [37] 

Le 8 avril, le Q.G. impérial japonais émit un communiqué qui disait: «Les troupes japonaises, combattant aux côtés de l'INA, se sont emparées de Kohima le 6 avril». [38] Un Netaji jubilant commença à discuter avec les Japonais de la manière d'administrer les territoire libérés et ceux qui seraient bientôt libérés en Inde. En réponse à une requête de Netaji, le Premier Ministre Tojo fit une annonce disant que les régions de l'Inde occupées après l'avance de l'armée japonaise seraient placées sous la juridiction du Gouvernement Provisoire Indien. Cela fut suivi par une annonce de Netaji disant qu'il nommait le Ministre des Finances de son Cabinet, le major-général A.C. Chatterjee, gouverneur des zones récemment libérées. Netaji décrivait la marche de l'INA en Inde comme l'événement du siècle. Il avait aussi déclaré que la Légion en Europe faisait partie de l'INA et avait nommé Nambiar ministre du Gouvernement Provisoire; son délégué avait été installé dans les Andamans, ses premiers héros du front d'Arakan avaient été décorés, et les troupes de l'INA avaient relevé le prestige national de l'Inde Libre à Kohima; et à présent, la chute d'Imphal semblait très proche. 

La campagne d'Imphal vint-elle presque deux ans trop tard? Que se serait-il passé si Netaji était arrivé en Asie de l'Est un an plus tôt? A la fin de 1942, l'Axe avait remporté des succès partout. 

Rommel était en Egypte, l'invasion de la Russie s'était passée sans incident, la Chine nationaliste était à genoux, et l'Inde et l'Australie s'attendaient à une invasion japonaise. Les perspectives étaient sombres pour les Alliés dans le Pacifique, et le Soleil Levant était à son zénith du Japon au golfe du Bengale ... La Grande-Bretagne était incapable de se mesurer à la flotte japonaise, et il n'y avait pas assez de troupes anglaises et indiennes en Inde pour assurer sa défense. Même la protection aérienne était insuffisante ... Les forces japonaises n'avaient pas poursuivi les troupes britanniques en retraite au-delà de la rivière Chindwin en Birmanie en mai 1942, soi-disant parce qu' «une invasion pouvait éveiller de mauvaises idées parmi les masses indiennes» ... Ainsi les Japonais restèrent à l'est de la rivière Chindwin, laissant les forces indiennes britanniques refaire leurs forces dans la plaine d'Imphal. [39]
Mais surtout, à ce moment où se présentait une occasion en or, l'autorité incontestée de Netaji, le Gouvernement Provisoire, et une Armée Nationale Indienne digne de ce nom - tout cela était inexistant en Asie de l'Est. Le Japon par lui-même n'avait pas la motivation pour étendre la guerre en Inde, elle devait penser elle-même à son indépendance. Le fait demeure, cependant, que la campagne d'Imphal fut d'abord conçue en 1942, juste après la conquête de la Birmanie. Selon l'histoire officielle des Forces Armées Britanniques pendant la 2ème Guerre Mondiale: 

Juste après la fin de la conquête de la Birmanie par les Japonais en juin 1942, un certain Lt-Col. Hayashi avait évoqué une attaque sur Imphal. Il pensait que les Japonais devaient frapper en Inde sans donner le temps aux défenseurs de se remettre de leur désastreuse retraite, et la prise d'Imphal les priverait de la meilleure base pour débuter une contre-offensive contre la Birmanie ... La 18ème division objecta que les jungles de la Birmanie étaient impénétrables par des corps de troupes importants et que toute attaque contre le territoire de l'Inde provoquerait des sentiments anti-japonais en Inde. Par conséquent, vers décembre 1942, le plan fut abandonné. [40] 

Le lieutenant-général Kuroda Shigetoku, Chef d'Etat-major de l'Armée du Sud, affirma plus tard que si l'opération avait été menée en 1942 comme prévu, plutôt qu'en 1944, elle aurait réussi. Selon Lebra, «le général Tojo affirma au printemps 1945 qu'il regrettait que le Japon ait raté l'occasion en 1942.» [41] 

Pendant que l'INA et les forces japonaises continuaient à encercler Imphal, la supériorité aérienne alliée se renforça et l'ennemi se prépara à la contre-attaque. Shah Nawaz, commandant deux bataillons du Régiment Subhas dans les collines de Chin, dit que les épreuves supportées par ses hommes étaient la conséquence des maladies et des difficultés de ravitaillement et de transport. Cependant, en raison des problèmes de communications, les nouvelles des difficultés rencontrées par ses hommes au front n'étaient pas connues en détails de Netaji. Alors que le front s'était équilibré et que l'offensive était interrompue, il y avait des meetings et des réjouissances à Rangoon où Netaji recueillait de l'argent et des dons divers pour continuer sa campagne. Il proposa d'envoyer d'autres régiments de l'INA au front et d'autres troupes furent envoyées. Pendant environ un mois «l'opération U» se déroula selon le plan. Les forces ennemies furent encerclées dans la région d'Imphal. 

Soudain, au milieu du mois d'avril, l'équilibre militaire commença à pencher contre le Japon et l'INA. Les unités aéroportées de Wingate avaient déjà commencé à attaquer les voies de communications en Birmanie. Les forces britanniques étaient ravitaillées par avion dans Imphal assiégée, et des renforts commençaient à arriver. Les forces britanniques furent envoyées à Kohima au nord, par train et par air. Le Japon n'avait pas de force aérienne comparable pour empêcher les opérations aériennes de l'ennemi. A la fin d'avril la force de combat des Japonais et de l'INA avait diminué de 40%. Le temps d'un succès par une attaque surprise était déjà passé et progressivement l'offensive se transformait en bataille défensive. La mousson qui suivit apporta le désastre final. Comme les chemins devinrent impraticables, toutes les routes de ravitaillement furent coupées. Des flots de boue inondèrent les chemins et les vallées, et les rivières grossirent et emportèrent les tanks et les munitions. A la suite de la mousson, la maladie arriva. Le choléra, la malaria, la dysenterie, le béri-béri et la jungle commencèrent à prélever leur taxe. L'INA et les Japonais commencèrent à vivre sur leurs rations consistant en riz mélangé avec des herbes de la jungle. La 33ème division avait combattu désespérément pendant 40 jours sans parvenir à percer les lignes britanniques à Imphal. Et maintenant que de grandes quantités de ravitaillement parvenaient à la garnison d'Imphal, il n'y avait plus d'espoir de pouvoir poursuivre l'offensive. Le 8 juillet, sur la recommandation de généraux de haut rang incluant Kawabe et Mataguchi, le Premier Ministre Tojo donna l'ordre de stopper l'opération. 

L'histoire de la retraite d'Imphal est l'une des plus grandes tragédies de la 2ème Guerre Mondiale. C'est une histoire de misère, de faim et de mort. Les troupes japonaises et l'INA, comprimées dans la vallée de Kawab entre les collines de Chin à l'ouest et la rivière Chindwin à l'est, commencèrent leur long voyage de retour à travers les jungles et les montagnes, guidées par les commandants de divisions et des gardes en jeep et à cheval. Les officiers, le ravitaillement, les unités de transmission et les unités médicales suivaient. Derrière eux marchaient des milliers de traînards, trempés jusqu'aux os, émaciés par la fièvre et la malnutrition. Bientôt, les cadavres commencèrent à s'accumuler le long du chemin, on n'avait pas le temps de les enterrer. Sur les 220 000 japonais qui avaient commencé la campagne d'Imphal, seulement 130 000 survécurent, et parmi eux seulement 70 000 restèrent en ordre de combat. Les pertes de l'INA furent de plus de 50%. Ce fut un désastre d'une ampleur égale à Dunkerque ou Stalingrad. Lebra écrit: 

Lorsque Bose entendit parler de l'ordre de retraite, il fut abasourdi. Il se dressa et dit à Kawabe d'un ton strident: «Bien que l'armée japonaise ait arrêté l'opération, nous continuerons. Nous ne renoncerons pas, même si l'avance de notre armée de libération est complètement défaite. L'accroissement des pertes, l'interruption du ravitaillement et la famine ne sont pas des raisons pour arrêter la marche. Même si toute l'armée devenait un pur esprit, nous ne cesserons pas d'avancer vers notre patrie. C'est l'esprit de notre armée révolutionnaire». Dans un article paru dans Azad Hind le 6 décembre 1944, après la retraite d'Imphal, Bose déclarait avoir conservé «sa ferme conviction que la victoire finale dans cette guerre appartiendrait au Japon et à l'Allemagne, qu'une nouvelle phase de la guerre approchait, dans laquelle l'initiative reviendrait dans les mains des Japonais.» [42]
Chaque commandant japonais donna sa propre analyse des causes de l'échec de l'opération U, telles que le problème de la chaîne de commandement, le manque d'appui aérien, la dispersion des forces plutôt que la concentration. Cependant, Netaji pensait que c'était la date choisie, en considération de la mousson. Il sentait que la seule chance de prendre Imphal était de le faire avant l'arrivée des pluies, et la plupart des stratèges sont d'accord sur ce point. Dans une perspective historique cependant, Fujiwara était le plus lucide. Selon lui, le désastre d'Imphal aurait pu être évité si l'opération avait été entreprise un an plus tôt, à une époque où les forces britanniques dans la région étaient faibles. Le délai apporté au déclenchement de l'offensive d'Imphal était dû sans aucun doute à l'arrivée tardive de Netaji, venant d'Europe. La campagne d'Imphal aurait pu être entreprise à un moment où les victoires de l'Axe avaient atteint leur zénith et où les forces alliées étaient en retraite partout. 

Pendant les trois derniers mois de 1944, les forces japonaises s'étaient retirées sur les berges de l'Irrawaddy en Birmanie, où elles avaient l'intention de s'établir en défense. Netaji enthousiaste proposa de réorganiser la 1ère division de l'INA, pendant que la 15ème division japonaise recevait l'ordre de contenir les Britanniques. En outre, la 2ème division fut aussi préparée à entrer en action. En février 1945, l'INA tenait quelques positions dans la région de Mandalay en Birmanie, livrant combat à l'ennemi en progression. Ce fut la seconde campagne de l'armée de Netaji, et elle tint bon à Nyaungu pendant quelques temps. Cependant, les troupes alliées traversèrent plus tard l'Irrawady en plusieurs points et les unités japonaises et celles de l'INA furent encerclées. Il y eut quelques désertions. En dépit d'exemples uniques d'héroïsme et de la présence de Netaji sur le front, risquant sa propre vie en face des attaques ennemies, la seconde campagne de l'INA (qui fut une campagne purement défensive) se termina finalement par la reconquête progressive de la Birmanie par les Britanniques. 

La fin de la campagne fut suivie par une série d'événements incluant la défaite finale du Japon, un accident d'avion à Formose dans lequel on dit que Netaji avait péri, la reddition de l'INA aux forces alliées et le procès de ses dirigeants au Fort Rouge à Delhi, organisé par les Britanniques. Cependant, tous ces événements décisifs, survenant pendant la phase finale de la 2ème Guerre Mondiale et ses suites, doivent être considérés comme des parties d'un épisode complètement différent concernant Subhas Chandra Bose et l'INA. Dans le présent épisode nous avons examiné les tâches historiques réalisées par Netaji et son armée en Europe et en Asie pendant la 2ème Guerre Mondiale, ainsi que leur signification. Reconnaissant le rôle historique important de Netaji en tant que chef de guerre, Guy Wint lui rend un hommage particulier en ces termes: «Il joua ... un rôle extraordinairement décisif. Par accident, et en saisissant une opportunité exceptionnelle, il put se faire une place éminente parmi le petit nombre d'hommes qui influencèrent le cours de la guerre par leurs qualités individuelles.» [43] 
 

Le mythe de la «liberté obtenue par la non-violence sous la direction de Gandhi»

Les historiens modernes en Inde jettent un autre regard sur la manière dont la liberté du pays fut obtenue, et sont ainsi amenés à démolir un certain nombre de théories, de présomptions et de mythes prêchés par les «historiens officiels». Cependant, pour pouvoir saisir l'importance de la question, avec ses nombreux aspects, il est essentiel de comprendre d'abord le concept de liberté tel qu'il était envisagé par Netaji, l'idéal qui le motiva pour l'arracher des mains des Britanniques par la force des armes. Dans toute sa carrière politique, Subhas Chandra Bose fut guidé par deux principes cardinaux dans sa quête de l'émancipation de son pays: il ne pourrait pas y avoir de compromis avec les colonialistes étrangers, et en aucun cas le pays ne subirait une partition. L'unité géographique indienne devait être maintenue à tout prix. 

Gandhi et BoseComme nous l'avons déjà vu, le cours malheureux des événements pendant la 2ème Guerre Mondiale empêcha le rêve de Netaji -- une marche victorieuse sur Delhi à la tête de son INA -- de devenir réalité. En son absence et en celle de son armée dans l'Inde d'après-guerre, les politiciens sous la direction de Gandhi et de Nehru firent exactement ce que Netaji ne voulait à aucun prix: ils négocièrent et firent un compromis avec les Britanniques sur la question de l'indépendance, et dans leur hâte d'arriver au pouvoir, acceptèrent une formule de partition de l'Inde, présentée à eux par les Britanniques. [Photo: Gandhi et Bose avant la guerre.]

Le transfert de pouvoir fut suivi par deux développements de plus, qui étaient étrangers à la philosophie de Netaji et à son projet pour une Inde Libre: introduction d'un système de démocratie parlementaire par Nehru, et sa décision de maintenir l'Inde dans le Commonwealth britannique. Ce fut une indépendance tronquée, faite dans le bain de sang des millions de victimes des troubles pendant le processus de partition, avec pour résultat que l'Inde apparut sur la carte du monde sous la forme des deux Etats de l'Inde et du Pakistan. Même ainsi, la liberté fragmentée qui survint avec le partage de l'Inde, après que les Britanniques aient joué avec succès leur jeu habituel du «diviser pour régner», ne fut pas le résultat de la campagne de désobéissance civile et de lutte non-violente de Gandhi, comme les historiens officiels voudraient nous le faire croire; elle ne fut pas non plus obtenue par des âpres négociations avec Nehru et d'autres dirigeants du Congrès National Indien à la table de conférence, que les Britanniques trouvèrent si facile à contrôler. Les Britanniques se décidèrent à partir lorsqu'ils commencèrent à sentir que la loyauté se fissurait parmi les soldats indiens de l'armée britannique -- la force principale du pouvoir colonial -- en résultat des exploits de l'INA, qui devinrent mondialement connus après la fin des hostilités en Asie de l'Est. 

Ramesh Chandra Majumdar, l'éminent historien indien récemment décédé, et qui en raison de ses défis à plusieurs mythes historiques peut à juste titre être appelé le doyen des nouveaux historiens indiens, remarqua dans son livre Trois Etapes du Combat pour la Liberté de l'Inde

Il n'existe cependant aucune base qui permette d'affirmer que la campagne de désobéissance civile ait conduit directement à l'indépendance. Les campagnes de Gandhi ... connurent une fin lamentable environ 14 ans avant que l'Inde obtienne l'indépendance. Pendant la 1ère Guerre Mondiale les révolutionnaires indiens tentèrent d'obtenir l'aide allemande sous forme d'armes pour libérer le pays par la révolte armée. Mais la tentative échoua. Pendant la 2ème Guerre Mondiale Subhas Chandra Bose suivit la même méthode et créa l'INA. En dépit de plans brillants et de succès initiaux, les violentes campagnes de Subhas Bose échouèrent ... Les batailles pour la liberté de l'Inde étaient aussi menées contre la Grande-Bretagne, bien qu'indirectement, par Hitler en Europe et par le Japon en Asie. Aucune n'eut de succès direct, mais peu nieront que ce fut l'effet cumulé des trois qui apporta la liberté à l'Inde. En particulier, les révélations faites lors du procès de l'INA, et la réaction qu'il produisit en Inde, rendit assez évident pour les Britanniques, déjà épuisés par la guerre, qu'ils ne pourraient plus longtemps dépendre de la loyauté des supplétifs indiens pour maintenir leur autorité en Inde. Cela eut probablement la plus grande influence sur leur décision finale de quitter l'Inde. [44] 
En dépit de la défaite du Japon et de la reddition de l'INA qui suivit sur le front indo-birman, Subhas Chandra Bose et l'INA devinrent des noms vénérés dans le pays lorsque les soldats de retour furent persécutés par les Britanniques. En même temps, le Congrès dirigé par Gandhi et Nehru s'était démobilisé, et l'année 1945 semblait relativement calme et vide d'événements. Cependant, Netaji et sa légende produisirent un mouvement dans tout le pays, que même un Gandhi ne put jamais provoquer. Faisant écho à ce bouillonnement des masses, Michael Edwardes écrivit dans son livre Last Years of British India
Le gouvernement de l'Inde avait espéré, en persécutant les membres de l'INA, renforcer le moral de l'armée indienne. Il réussit seulement à créer un malaise, en rendant les soldats indiens quelque peu honteux d'avoir eux-mêmes soutenu les Britanniques. Si Bose et ses hommes avaient été du bon côté -- et toute l'Inde confirmait maintenant qu'ils l'avaient été -- alors les Indiens de l'armée indienne britannique devaient avoir été du mauvais côté. Cela fit lentement prendre conscience au gouvernement de l'Inde que la colonne vertébrale du pouvoir britannique, l'armée indienne, ne pourrait plus longtemps être digne de confiance. Le fantôme de Subhas Bose, tel le père de Hamlet, parcourait les fortins du Fort Rouge (là où les soldats de l'INA avaient été jugés), et sa figure soudain grandie terrifia la conférence qui devait mener à l'indépendance. [45]
Hormis les historiens révisionnistes, ce fut Lord Clement Atlee -- le Premier Ministre britannique qui accorda l'indépendance à l'Inde -- lui-même, qui donna un coup fracassant au mythe que cherchaient à perpétuer les historiens officiels, selon lequel Gandhi etson mouvement avaient mené le pays à la liberté. Le Juge P.B. Chakrabarty de la Haute Cour de Calcutta, qui avait également servi comme Gouverneur du Bengale de l'Ouest, révéla ce qui suit dans une lettre adressée à l'éditeur du livre du Dr R.C. Majumdar, A History of Bengal. Le Juge écrivait: 
Vous avez rempli une noble tâche en persuadant le Dr Majumdar d'écrire cette histoire du Bengale et de la publier ... Dans la préface du livre, le Dr Majumdar a écrit qu'il ne pouvait pas accepter la thèse que l'indépendance de l'Inde fut obtenue seulement ou en grande partie par la campagne de désobéissance civile non-violente de Gandhi. Lorsque j'étais Gouverneur en exercice, Lord Atlee qui nous avait donné l'indépendance en procédant au retrait britannique de l'Inde, passa deux jours dans le palais du Gouverneur à Calcutta pendant son voyage en Inde. A cette époque, j'eus une discussion prolongée avec lui au sujet des raisons réelles qui avaient conduit les Britanniques à quitter l'Inde. Ma question directe fut que depuis que le mouvement «Quittez l'Inde» de Gandhi avait cessé depuis déjà quelque temps et qu'en 1947 aucune nouvelle situation de ce genre n'était survenue qui aurait nécessité un départ britannique hâtif, pourquoi durent-ils partir? Dans sa réponse Atlee cita plusieurs raisons, la principale d'entre elles étant l'érosion de la loyauté envers la Couronne britannique dans le personnel de l'Armée indienne et de la Marine, en résultat des activités militaires de Netaji. Vers la fin de la discussion je demandai à Atlee quelle importance avait eu l'influence de Gandhi sur la décision britannique de quitter l'Inde. En entendant cette question, les lèvres d'Atlee se plissèrent en un sourire sarcastique, et il laissa tomber lentement: «mi-ni-ma-le!» [46]
Lorsque la nouvelle version de l'histoire de l'Inde au 20ème siècle, et particulièrement l'épisode unique du combat pour l'indépendance, seront écrits, on ne trouvera sans aucun doute qu'une seule personne qui apporta la contribution la plus significative et représentative parmi tous ses compatriotes, jusqu'à l'émancipation de sa patrie des chaînes de l'asservissement étranger. Pendant la 2ème Guerre Mondiale, cet homme marcha sur deux continents tel un colosse, et les pas de son armée de libération résonnèrent dans les forêts et les plaines d'Europe et les jungles et les montagnes d'Asie. Ses assauts armés ébranlèrent les fondements même de l'Empire Britannique. Son nom était Subhas Chandra Bose. 


 

NOTES

1. Bose, Subhas Chandra, The Indian Struggle 1920-1942, New York: Asia Publishing House, 1964, p. 318.

2. Ibid., pp. 419-422, 431-432.

3. Ganpuley, N.G., Netaji in Germany: A Little-known Chapter, Bombay, Bharatiya Vidya Bhavan, 1959, p. 63.

4. Ibid., pp. 63-64.

5. Toye, Hugh, The Springing Tiger, London, Cassell, 1959, p. 63.

6. Ibid., p. 70.

7. Lebra, Joyce C., Jungle Alliance: Japan and the Indian National Army. Singapore, Asia Pacific Library, p. 110.

8. The Goebbels Diaries, 1942-1943, Edited, translated and with an introd. by Louis P. Lochner, Westport, Conn., Greenwood Press, 1970, p. 107.

9. Ibid., P. 123.

10. Ibid., p. 211.

11. Toye, Hugh, op. cit., pp. 72-73.

12. Ibid., p. 75.

13. Seifriz, Adalbert, In Preface to Ganpuley's Netaji in Germany.

14. Sopan, pseud., Ed., Netaji Subhas Chandra Bose: His Life and Work. Bombay, Azad Bhandar, 1946, pp. 281-282, 284.

15. Ganpuley, N.G., op. cit., p. 153.

16. Staatsmaenner und Diplomaten bei Hitler, Part Two, Edited by Andreas Hillgrueber, Frankfurt am Main, Bernard & Graefe fuer Wehrwesen, 1970.

17. Maryama Shizuo, Nakano Gakko, Tokyo, 1948, p. 120

18. Subhas Chandra Bose and Japan, 4th section, Asian Bureau, Ministry of Foreign Affairs, Govt. of Japan, 1956.

19. A Beacon Across Asia: A Biography of Subhas Chandra Bose. Ed. in-chief: Sisir K. Bose, New Delhi, Orient Longman, 1973, p. 143.

20. Lebra, Joyce C., op. cit., p. 51.

21. Subhas Chandra Bose and Japan, op. cit.

23. Ghosh, K.K., The Indian National Army: Second Front of the Indian Independence Movement, Meerut, Meenakshi Prakashan, 1969, pp. 127-128.

24. A Beacon Across Asia, op. cit., p. 167.

25. Ghosh, K.K., op. Cit., p. 135.

26. Press Statement, 19 June 1943.

27. Sopan, op. cit., p. 313.

28. Sivaram, M., The Road to Delhi, Rutland, Vt., C.E. Tuttle Co., 1967, pp. 122-123.

29. Ibid., pp. 123-124.

30. A Beacon Across Asia, op. cit., p. 178.

31. Toyle, Hugh, op. cit., p. go.

32. Ibid., p. 91.

33. A Beacon Across Asia, op. cit., p. 196.

34. Ibid., p. 200.

35. Toye, Hugh, op. cit., p. 103.

36.  A Beacon Across Asia, op. cit., p. 203.

37.  Arun, pseud., Ed., Testament of Subhas Bose, Delhi, Rajkamal Pub., 1946, p. 170.

38.  A Beacon Across Asia, op. cit., p. 205.

39. Lebra, Joyce C., op. cit., p. 150.

40. British Armed Forces in the Second World War, Combined Interservices Historical Section, 1958.

41. Lebra, Joyce C., op. cit., p. 158.

42. Ibid., pp. 190-191.

43. Calvocoressi, Peter, and Guy Wint, The Total War: the Story of World War II, New York, Pantheon Books, 1972, pp. 801-802.

44. Majumdar, R.C., Three Phases of India's Struggle for Freedom, Bombay, Bharatiya Vidya Bhavan, 1967, pp. 58-59.

45. Edwardes, Michael, The Last Years of British India, Cleveland, World Pub. Co.,1964, p. 93.

46. Majumdar, R.C., Jibanera Smritideepe, Calcutta, General Printers and Publishers, 1978, pp. 229-230, (quotation translated from original Bengali).


Journal of Historical Review, 3/4 (Hiver 1982), 407-439. Les photographies ne figurent pas dans l'article d'origine. Voir aussi (hors-site) Er wollte Freiheit für Indien et Indian Volunteers in the German Wehrmacht.

 

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